Des histoires des arts numériques, des hybridations ?
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Des histoires des arts numériques, des hybridations ?
Après une douzaine d’années d’enseignements et de pratiques à l’Ecole Européenne Supérieure de l’Image Angoulême - Poitiers, face à des générations étudiantes qui se transforment, j’ai petit à petit réinterrogé ce qui me semblait aller de soi. Si la question “qu’est-ce que de l’art ?”reste une question habituelle qui fait partie du quotidien du travail des étudiant·e·s en art, on peut se demander en 2021 ce que seraient des “arts numériques” différemment d’il y a 20 ans.
En 2021, des “arts numériques” ?
A la lecture d’ouvrages anthropologiques récents, les questions de ce que l’on pourrait entendre par “numériques” nous emmènent loin en arrière. Si j’en crois Caleb Everett dans Numbers and the Making of Us - Counting and the Course of Human Cultures(Harvard University Press, 2017), un premier artefact artistique numérique pourrait se trouver sous la forme d’un bois de renne incisé comptant le passage du temps, il y a dix mille ans ?
Ou bien est-ce la machine d'Anticythère, permettant le calcul des calendriers solaire et lunaire ? Produite en Grèce antique, est-ce que de la technè liée au calcul en fait une pionnière des arts numériques européens ?
Ou alors la machine logique concentrique, Ars Magna, les arts majeurs, de Raymond Lulle, permettant des raisonnements théologiques automatisés ?
Plus près de nous, peut-être, le code d’Ada Lovelace sur la machine de Charles Babbage ?
Ce qui m’aide à répondre un peu à ces questions, c’est le travail de Bruno Bachimont en philosophie des techniques. Lui-même partant du travail de Jack Goody dans La raison graphique - La domestication de la pensée sauvage(Editions de minuit,1979), il introduit l’idée de raison computationnelle, une façon de penser le monde, le diviser, par le calcul. Pour faire simple, j’espère ne pas me tromper, nos sociétés seraient passées du partage, l’échange et mémorisation de connaissances via des inscriptions plus ou moins pérennes (le graphique), à des partages sans cesse recalculés et remis en jeu (le computationnel). Les connaissances ne sont plus gravées dans la pierre face au temps, mais au contraire impermanentes et recalculées à chaque instant.
Parlerions-nous plutôt d’arts computationnels, en rejoignant de ce point de vue Walter Benjamin qui évoque le passage des arts de la représentation aux arts du jeu dans L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique(1936).
Expos et figures
Au-delà des ces remises en cause de définition, ma première réaction lorsque Patrick m’a parlé de cette intervention, ça été de me dire “Facile, deux expos, cinq artistes !”.
Brièvement :
Deux expos marquantes des années 60 :
9 Evenings : Theatre and Engineering, du 13 au 23 octobre 1966 à New York, réunissant une dizaine d’artistes comme entre autres Robert Rauschenberg, John Cage, Lucinda Childs ou Yvonne Rainer avec une trentaine d’ingénieurs de Bell Laboratories.
Cybernetic Serendipity, du 2 août au 20 octobre 1968 à Londres, puis en 1969 à Washington et San Francisco.
Cinq figures marquantes habituelles, peut-être déjà dans les corpus du programme du secondaire, qui permettent des continuités depuis les pratiques traditionnelles :
Vera Molnár (des œuvres génératives sur ordinateur dès les années 60, en héritage de la peinture abstraite).
Harold Cohen (la réalisation d’une intelligence artificielle peintre dès 1969, en héritage de la peinture figurative).
Jeffrey Shaw (des œuvres interactives dans les années 80-90 questionnant entre autres la place des spectateurs·trices, en héritage de la sculpture et de l’installation)
Eduardo Kac ou Stelarc (bioart dans les années 90-2000, en héritage de l’art total et de la performance)
Et je me dis, “et tant d’autres...”. Mais y a-t-il de grand·e·s artistes ?
De l’art, ce pourrait être ce qui émerge de pratiques nombreuses, diverses, de gens qui font leur temps, qui construisent des imaginaires pour les mondes à venir. Si on essaye de prendre en compte ce que la micro-histoire a apporté à l’histoire, on pourrait se concentrer sur quelques pratiques, de gens peut-être moins connus mais qui contribuent parmi d’autres à faire émerger des arts computationnels.
Sean Lennon et le Plan Informatique pour Tous
Je tombe sur une anecdote, des photos que je ne connaissais pas. Le jeune Sean Lennon, qui vient de recevoir un Macintosh tout neuf pour son anniversaire, et à qui Steve Jobs apprend les bases de manipulation, en compagnie entre autres d’Andy Warhol, Kenny Scharf et Keith Haring. C’est drôle parce que c’est à peu près au même moment que, gamin à la campagne, je touche mon premier ordinateur, un TO7-70 du Plan Informatique pour Tous. Le même jour, je tombe sur ce livre qui vient de sortir, de Nicolas Labarre, Warhol Invaders (Courant Alternatif, 2021). Je n’ai pas encore eu le temps de le lire, il met en place une uchronie où Andy Warhol propose des boîtes connectées, un nouveau futur numérique, on appellerait ça du Warhol Punk ? Ses œuvres pop seraient numériques, elles seraient jouables, en masse, ce sont des jeux vidéo. Deux artistes et un duo qui me semblent être dans le flux des artistes computationnel·le·s, renouvelant, réactualisant, et préparant de nouveaux futurs :
John O’Neill, né en 1948 au Royaume-Uni, peintre et créateur de jeux vidéo, comme Lifespan(1983) et The Dolphin’s Rune : A Poetic Odyssey(1985).
Simone Giertz, née en 1990 à Stockholm, youtubeuse, maker, inventrice et roboticienne autodidacte. Autoproclamée “Reine des robotsde merde”, elle commence à construire des robots fonctionnels mais burlesques et inefficaces.
Morehshin Allahyari, née en 1985 en Iran, artiste et activiste, & Daniel Rourke, né au Royaume-Uni, écrivain, artiste et chercheur. Il et elle réalisent en 2016 The 3d Additivist Cookbook, un hybride du travail de 100 artistes, designers, commissaires, activistes et théoricien·ne·s, avec le désir de “pousser les technologies au-delà de leur point de rupture, dans le royaume de la provocation et du bizarre”, dans une “mobilisation pour la révolution”. Un ensemble de recettes, fictions, essais, fichiers 3d, toolkits, gabarits, plans et méthodologies. #Additivism est un mot-valise pour additive et activism, avec comme intention de rompre les réalités matérielles, sociales, computationnelles et métaphysiques par la provocation, la collaboration et la pensée de science-fiction.